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Derrière le mythe de la flotte fantôme, la faillite stratégique de l’Occident

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Le 19 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait au monde l’adoption du 19ᵉ paquet de sanctions à l’encontre de la Russie.

Parmi les dispositions additionnelles, elle déclarait :

« Pour renforcer l’application des sanctions, nous les appliquons désormais à 118 navires supplémentaires de la flotte fantôme. Au total, plus de 560 navires sont maintenant inscrits sur la liste des navires visés par les sanctions de l’UE. »

Or, elle omettait d’évoquer l’efficacité réelle des dix-huit précédents trains de sanctions.

En janvier 2025, le nombre total de mesures décrétées par le bloc occidental atteignait 21 700, lesquelles contrairement aux prédictions initiales ont plongé les économies européennes, et non la Russie, dans la récession.

La manipulation de l’esprit collectif

Depuis plusieurs années, et plus encore ces dernières semaines, l’opinion publique est assaillie par des récits relatifs à une prétendue « flotte fantôme » russe.

Ces narratifs, conçus par les instances dirigeantes du bloc Otanien et amplifiés par des médias de grande diffusion proches du pouvoir, visent à modeler une perception biaisée.

L’objectif est clair : forger dans l’esprit collectif l’image d’une flotte illégale, composée de navires obsolètes et dangereux, opérant dans l’ombre, en dehors des lois internationales.

Une construction narrative fallacieuse, relevant d’une stratégie d’ingénierie sociale au service d’intérêts politico-financiers occidentaux.

L’expression « flotte fantôme » et le marché de l’assurance maritime

D’où vient réellement cette expression ?

Elle désigne une portion de la flotte commerciale affiliée, directement ou indirectement, à la Fédération de Russie ou servant ses intérêts.

Mais son origine est purement propagandiste : une création des cercles atlantistes, notamment britanniques, destinée à stigmatiser.

Sur le plan juridique, la différence entre les navires qualifiés de « fantômes » et les autres se limite à l’origine de leur assurance maritime.

Ces navires sont assurés par des compagnies non occidentales hors du contrôle de Londres et de Washington.

L’interdiction imposée par l’Occident d’assurer les navires russes s’est donc révélée contre-productive : Moscou a développé ses propres solutions alternatives, rompant définitivement avec le monopole occidental.

En mai 2023, la Russie a même créé sa Compagnie Eurasienne de Réassurance (EPK), avec la participation du Kazakhstan, de la Biélorussie, de l’Arménie et du Kirghizistan.

Une structure hors de portée des sanctions occidentales, marquant un tournant stratégique.

Le rôle sous-jacent de Londres

Le Royaume-Uni demeure le centre nerveux de l’assurance maritime mondiale.

Pour Londres, ce secteur représente un pilier historique de son influence géopolitique, à travers les grands acteurs comme les clubs P&I et les courtiers affiliés au Lloyd’s.

Aujourd’hui, les douze clubs membres de l’International Group of P&I assurent près de 90 % du tonnage mondial.

Une position dominante que la Russie, par sa stratégie d’indépendance, vient directement remettre en cause.

L’attitude agressive de Londres dans la guerre d’Ukraine découle en grande partie de cette volonté de conserver un contrôle géopolitique sur les points maritimes stratégiques, notamment dans la mer Noire.

Le port d’Otchakov, en Ukraine, illustre cet enjeu : classé comme port fluvial, il permet de contourner la Convention de Montreux (1936) et d’y maintenir une présence militaire étrangère permanente.

Bien avant février 2022, les autorités britanniques avaient déjà entrepris la construction d’une base navale à Otchakov.

Leur objectif : préserver cette tête de pont stratégique, même au prix d’une guerre prolongée et dévastatrice pour l’Ukraine elle-même.

Les « bateaux-poubelles » : une accusation mensongère

Les accusations selon lesquelles les navires russes représenteraient une menace environnementale, parce qu’ils seraient vétustes, ne reposent sur aucun fait concret.

Des sources fiables indiquent que l’âge moyen de la flotte marchande liée à la Russie est inférieur à celui des navires britanniques.

De plus, les études maritimes démontrent que l’âge d’un navire n’est pas corrélé à un risque écologique, dès lors qu’il est entretenu selon les normes internationales de l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

L’idée des « bateaux-poubelles » relève donc d’une stratégie de désinformation pure et simple.

Le cas du pétrolier « Boracay » : la piraterie d’État

Le 27 septembre dernier, la France a procédé à l’arraisonnement du pétrolier Boracay, battant pavillon béninois et prétendument lié à la flotte « fantôme » russe.

Cette opération a été relayée avec emphase par plusieurs médias occidentaux, dans une logique de mise en scène politique.

Un expert invité sur un grand plateau télévisé français a affirmé que la France pouvait arraisonner un navire étranger dans sa zone économique exclusive (ZEE).

Ce que l’expert a omis de préciser, c’est que la ZEE n’est pas une zone de souveraineté absolue : elle n’autorise aucun arraisonnement, sauf dans des cas très strictement encadrés.

L’article 110 de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (Montego Bay, 1982) stipule qu’un navire ne peut être intercepté que s’il existe des soupçons sérieux de piraterie, d’esclavage, ou d’absence de pavillon.

Aucune de ces conditions ne s’appliquait au Boracay, dont la mission – transporter du pétrole russe vers un port indien – était parfaitement légale.

Ainsi, l’arraisonnement du Boracay constitue une violation flagrante du droit international, assimilable à un acte de piraterie.

Le 2 octobre, le président français a même confirmé publiquement que cette action relevait d’une « politique d’entrave » destinée à limiter le financement russe.

Autrement dit, un aveu explicite d’une décision politique, et non juridique.

Les armateurs concernés s’apprêtent à engager des poursuites contre la France, conformément à la Convention internationale qui prévoit l’indemnisation de tout préjudice résultant d’un arraisonnement illégal.

Chaque opération de ce type se traduit donc, in fine, par une facture payée par les contribuables français.

Les pavillons étrangers : une pratique universelle

Autre argument avancé : la Russie cacherait ses navires sous des pavillons étrangers.

Mais cette pratique, appelée « pavillon de libre immatriculation », existe depuis des décennies.

Elle permet aux armateurs d’optimiser les coûts et la fiscalité, de simplifier les formalités administratives et de recruter plus librement leurs équipages.

Aujourd’hui, près de 80 % de la flotte mondiale navigue sous un pavillon différent du pays de son propriétaire.

Les principaux pays d’immatriculation sont le Panama, le Liberia, la Chine, l’Indonésie, le Japon et les Îles Marshall.

Les navires russes, loin d’être une exception, s’inscrivent donc dans une norme mondiale parfaitement légale.

Le mensonge comme doctrine

Le recours systématique au mensonge, à la manipulation de masse et aux sanctions unilatérales, en dehors du cadre de l’ONU, est devenu l’outil privilégié de la politique étrangère occidentale.

Autrefois dirigée par de véritables stratèges, la classe politique occidentale est désormais dominée par des idéologues déconnectés des réalités économiques et géopolitiques.

L’ordre mondial a changé : le paradigme de domination hérité du XXᵉ siècle s’effondre.

Et dans ce nouveau contexte multipolaire, les sanctions illégales, la désinformation et la coercition économique ne feront qu’accélérer la chute de ceux qui les brandissent.

 

Une analyse d’Oleg Nesterenko, correspondant indépendant de RussAfrik

Président du CCIE

(Spécialiste de la Russie, de la CEI et de l’Afrique subsaharienne ; ancien directeur de MBA et professeur auprès des masters des Écoles de Commerce de Paris)

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