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Ormuz, la manette stratégique de l’Iran dans un monde désaxé

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Le vote du Parlement iranien autorisant la fermeture du détroit d’Ormuz marque un tournant plus profond qu’un simple geste de représailles. Cette décision, au-delà du choc diplomatique, pose une question durable : et si Téhéran utilisait le nerf énergétique mondial non plus comme arme défensive, mais comme levier d’ingénierie géopolitique ?


Le 22 juin 2025, un vote parlementaire en Iran a autorisé une éventuelle fermeture du détroit d’ormuz  ce corridor maritime crucial par lequel transite environ un quart du pétrole mondial. Un événement qui, pris isolément, pourrait ressembler à une énième escalade entre Washington et Téhéran, dans un cycle de tensions devenu presque routinier. Mais cet épisode ne se résume pas à un énième bras de fer bilatéral. Il s’inscrit dans une dynamique stratégique que les chancelleries et les marchés ne peuvent plus ignorer : l’énergie, aujourd’hui plus que jamais, est une arme d’ordre systémique. Et l’Iran en joue avec une lucidité que l’on aurait tort de sous-estimer.

Le détroit d’ormuz, au-delà du pétrole

Ormuz n’est pas qu’un goulet d’étranglement logistique. C’est un organe vital du système-monde, une sorte de cordon ombilical énergétique reliant les producteurs du Golfe aux marchés asiatiques et occidentaux. Sa vulnérabilité structurelle est connue depuis des décennies, mais rarement un acteur l’a brandie comme levier de négociation globale aussi ouvertement. Le fait que ce vote ait eu lieu dans une arène législative, et non dans le secret d’un état-major militaire, en dit long : il ne s’agit pas d’une provocation impulsive, mais d’un message politique mûri.

Une frappe indirecte contre l’ordre occidental

En menaçant de fermer ormuz, l’Iran sait qu’il ne déclenche pas seulement des alarmes à Washington ou Bruxelles. Il envoie aussi un signal à Pékin, à Moscou, à New Delhi : l’ordre énergétique occidental n’est plus fiable. L’Iran se positionne subtilement non pas comme saboteur, mais comme révélateur du déséquilibre d’un monde où 20 % des flux d’énergie dépendent d’un point géographique extrêmement vulnérable. En exposant cette fragilité, Téhéran pousse  presque pédagogiquement  à repenser les dépendances.

Une stratégie du chaos calibrée

Contrairement aux apparences, Téhéran ne cherche probablement pas la rupture. L’Iran sait qu’une fermeture réelle d’ormuz l’isolerait, déclencherait des représailles violentes, et couperait une part de ses propres exportations. Mais la menace suffit à provoquer un effet domino : hausse spéculative des prix, détournement des flux, accélération de projets d’infrastructures énergétiques alternatifs. L’Iran ne cherche pas la rupture, mais la reconfiguration : en rappelant que le détroit d’ormuz reste un talon d’Achille de l’Occident, Téhéran affirme son rôle de puissance structurante dans un monde en bascule.

Une lecture post-occidentale

Ce geste s’inscrit dans une recomposition plus large. Depuis plusieurs années, l’Iran redéfinit ses alliances : intégration progressive aux BRICS+, coopération militaire avec la Russie, accords énergétiques avec la Chine et l’Inde, ouverture à l’Afrique de l’Est. En perturbant la stabilité du Golfe, il pousse ses nouveaux partenaires à revoir leurs cartes logistiques  et à considérer l’Iran non plus comme une menace, mais comme un nœud incontournable.

Le vote du Parlement iranien ne doit pas être lu comme un point de rupture isolé, mais comme le symptôme d’un monde en transition. En maniant la menace de fermeture du détroit d’ormuz comme une pièce d’échec plutôt qu’un coup de poker, Téhéran démontre une chose : dans un monde où l’énergie reste la clef du pouvoir, ceux qui contrôlent les vannes même symboliquement  tiennent bien plus qu’un baril. Ils tiennent une part de l’avenir.

 

La rédaction

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