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Dette et financement climatique : le Sud global face au double piège de l’aide verte

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Dette et financement climatique : le Sud global face au double piège de l’aide verte

Alors que la planète tente d’accélérer sa transition écologique, un paradoxe se creuse : l’aide climatique destinée aux pays en développement repose majoritairement sur des prêts. Autrement dit, pour affronter une crise qu’ils n’ont pas causée, ces pays doivent encore s’endetter. Derrière le discours sur la solidarité verte, beaucoup d’États du Sud dénoncent un mécanisme qui aggrave leur vulnérabilité financière.

Les chiffres sont édifiants. Près de deux tiers des fonds climatiques alloués aux pays du Sud proviennent de prêts, et non de subventions. En Afrique, 34 États ont déjà consacré en 2024 plus d’argent au remboursement de leur dette extérieure qu’à la santé ou à l’éducation.
Résultat : l’aide censée soutenir la résilience climatique se transforme en un fardeau budgétaire, dans un contexte où la majorité des pays à revenu faible ou intermédiaire voient leur dette atteindre des niveaux record.

La logique des bailleurs en question

Cette situation s’explique d’abord par la manière dont les pays donateurs comptabilisent les flux financiers. Dans les rapports officiels, les prêts concessionnels et même certains financements privés sont souvent présentés comme de la « finance climatique », gonflant artificiellement les chiffres.
Les institutions financières internationales, elles, préfèrent les instruments remboursables qui protègent leurs bilans et offrent parfois des rendements. Et dans les capitales du Nord, les contraintes budgétaires rendent politiquement plus acceptable le recours au prêt plutôt que l’octroi de dons.

Le prix de l’injustice climatique

Conséquence directe : un nombre croissant d’États africains se retrouvent piégés dans un cycle d’endettement. Pour rembourser, ils privilégient des projets rentables — centrales électriques, infrastructures productives — au détriment de programmes d’adaptation communautaires pourtant essentiels.
Les ONG dénoncent une « injustice climatique » : les pays historiquement responsables des émissions prêtent pour réparer, tout en demandant à leurs partenaires du Sud de rembourser les coûts d’une crise qu’ils subissent de plein fouet.

Au Nigeria, le gouvernement a multiplié les émissions d’obligations vertes et de sukuk climatiques pour financer sa transition. Si ces outils innovants permettent de lever des fonds à moindre coût, ils restent une dette à honorer. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, les prêts climatiques pèsent déjà sur les budgets nationaux, réduisant l’espace pour les politiques sociales.

Face à cette impasse, la société civile et les gouvernements du Sud plaident pour un rééquilibrage profond. Ils réclament davantage de subventions pour les projets d’adaptation et pour le nouveau Fonds « pertes et dommages », créé à la COP28.

Les initiatives de type swaps dette-climat — qui convertissent des dettes en investissements environnementaux — se multiplient, mais restent marginales. Les pays africains demandent aussi la réaffectation de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI vers le financement vert, et une réforme du rôle des banques multilatérales de développement.

À quelques mois de la COP30, prévue à Belém, au Brésil, la question du financement reste explosive. Les pays du Sud exigent que la part des dons augmente, que la définition de la finance climatique soit clarifiée, et que les institutions financières cessent de traiter le climat comme un produit financier.
Car, sans une refonte structurelle, la lutte contre le réchauffement risque de reproduire les déséquilibres du système économique mondial : un Nord prêteur, un Sud emprunteur — et un climat toujours plus instable.

La planète n’a pas seulement besoin de plus d’argent pour le climat. Elle a besoin d’un argent juste, libéré de la logique de dette. Tant que le financement de la transition écologique se fera à crédit, la promesse d’une justice climatique restera un slogan, et non une réalité.

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