Par Anne Cheyvialle
Né en 1945, en marge des accords de Bretton Woods, le franc CFA a fait preuve depuis d’une grande stabilité.
ENQUÊTE – Décriée comme un héritage colonial, rejetée par le nouveau président du Sénégal, la monnaie commune arrimée à l’euro semble condamnée à plus ou moins brève échéance. Non sans risque sur le front économique.
Haro sur le franc CFA. De Dakar à Bamako, en passant par Abidjan et Lomé, la monnaie africaine, vue comme un héritage anachronique de l’époque coloniale et la persistance d’une domination française, est sous le feu des critiques, vilipendée par une jeunesse africaine en mal d’avenir, une partie des élites jusqu’au plus haut sommet des États. L’élection emblématique, fin mars, de Bassirou Diomaye Faye comme président du Sénégal et la nomination de l’opposant Ousmane Sonko comme premier ministre, sonne-t-elle le glas du franc CFA? Tous deux ont fait de sa sortie leur cheval de bataille, brandi en étendard pendant la campagne électorale comme enjeu de souveraineté nationale.
L’hostilité est aussi manifeste dans les trois pays sahéliens – Burkina Faso, Mali et Niger – aux mains des dirigeants militaires qui ont constitué l’Alliance du Sahel. En représailles aux sanctions économiques, le trio a récemment décidé de claquer la porte de la Cedeao, la communauté des États d’Afrique de l’Ouest, le bloc régional réunissant avant son départ quinze pays. Les trois pays rebelles veulent désormais s’entendre sur la création d’une monnaie commune. «Il n’est plus question que nos États soient la vache à lait de la France. La monnaie est une étape de sortie de cette colonisation, c’est un signe de souveraineté», a martelé dans une allocution télévisée, le 11 février dernier, Abdourahamane Tiani, le chef des généraux nigériens.
Toucher à la monnaie d’un pays soulève par nature des débats passionnels qui alimentent souvent les extrêmes. «La monnaie est une affaire politique avant d’être économique, appuie Abou Kane, économiste de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Depuis quelques années, il existe en Afrique de l’Ouest une volonté de s’affranchir de l’époque coloniale dont la monnaie fait partie.» En 2017, l’acte symbolique de l’activiste panafricain Kemi Seba de brûler un billet de 5000 francs CFA, qui lui a valu une expulsion du Sénégal et un procès, avait déchaîné les réseaux sociaux.
Au-delà des enjeux géopolitiques, les avis se divisent sur son impact économique. Le franc CFA est-il un moteur ou un frein au développement? Ses défenseurs mettent en avant l’attractivité et la stabilité de la zone que lui apportent le parapluie du Trésor français, la garantie de convertibilité et la parité fixe. Ses détracteurs critiquent l’arrimage à l’euro qui nuit à la compétitivité, certains dénonçant l’effet pervers d’une garantie artificielle qui ne pousse pas à des réformes de gouvernance, et maintient ainsi des potentats au pouvoir. Sa sortie ne serait en tout cas pas sans risque pour des pays encore fragiles, vulnérables aux chocs externes.
L’idée initiale, née en 1939, de constituer une zone monétaire des territoires d’outre-mer, visait pour la Banque de France à préserver ces zones «de brutales fluctuations de change». Elle aboutit en 1945, en marge des accords de Bretton Woods, à la création du franc des « colonies françaises d’Afrique (CFA)». Utilisé dans toutes les possessions françaises, il était divisé en deux zones: l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Il a fait preuve depuis d’une grande stabilité, survivant aux indépendances, aux multiples crises et tensions et même à l’arrivée de l’euro. «Il n’a connu qu’une seule dévaluation dans son histoire, en 1994, souligne l’économiste et banquier d’affaires Lionel Zinsou, ex-premier ministre du Bénin. Une chose amusante, remarque-t-il, l’Allemagne citée en exemple pour sa robustesse est l’un des pays qui a le plus changé de monnaie au XXe siècle».
Indépendance oblige, l’acronyme a été changé – le CFA des huit pays de l’Uemoa (Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest) rebaptisé «Communauté financière d’Afrique» et celui de la zone Cemac (Afrique centrale) «Coopération financière d’Afrique». Et des réformes ont donné plus d’indépendance aux deux banques centrales vis-à-vis des gouvernements. Sans couper le lien originel, la réforme de 2020 actée par Emmanuel Macron et son homologue ivoirien, Allassane Ouattara, a réduit la tutelle de la France. Le président français avait alors reconnu que le franc CFA était «perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique» et qu’il fallait répondre aux critiques. La parité fixe avec l’euro au taux de 655,90 CFA est maintenue ainsi que la garantie du Trésor français, c’est-à-dire que la France s’engage à couvrir les réserves si nécessaire. Cela n’est arrivé qu’une seule fois en près de quatre-vingts ans. Mais les réserves sont désormais intégralement placées à la BCEAO, la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest, alors qu’avant, la moitié devait être déposée sur un compte en France. Et les représentants du Trésor ne participent plus aux instances de gouvernance.
«La garantie du Trésor reste un gage fort pour les marchés, une garantie anti-attaques spéculatives et contre le risque de dépréciation», soutient Émilie Laffiteau, chercheuse associée à l’Iris, spécialiste de l’Afrique. Le franc CFA a joué un rôle d’amortisseur face aux crises successives: pandémie, guerre en Ukraine, hausse des taux d’intérêt. La flambée des prix a été plus limitée au sein de l’Uemoa que chez ses voisins, à côté surtout du grand Nigeria confronté à plus de 30% d’inflation et à un effondrement du naira. Dans l’Uemoa, après un pic de 9% en 2022, le taux d’inflation moyen est repassé sous les 3 % début 2024. Signe de crédibilité, les deux pays à avoir émis à nouveau sur les marchés en 2024 sont le Bénin et la Côte d’Ivoire.
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