

Dans le cadre du sommet USA–Afrique tenu début juillet à la Maison Blanche, Donald Trump a proposé un deal surprenant à cinq chefs d’État africains : accueillir sur leur sol des migrants expulsés des États-Unis. Une annonce discrète mais lourde de sens, révélée par le Washington Post. Le Soudan du Sud a déjà accepté, marquant ainsi le début d’un nouveau chapitre migratoire entre Washington et le continent africain.
Dans l’atmosphère feutrée du sommet USA–Afrique organisé à la Maison Blanche, plusieurs chefs d’État africains ont été invités à renforcer leur coopération avec les États-Unis. Lire aussi: https://russafrik.info/ahead-of-septembers-summit-washington-seeks-closer-ties-with-select-west-african-leaders/
Parmi les promesses de développement et les engagements bilatéraux, une proposition inattendue a surgi, presque en marge : accueillir sur leur territoire des migrants expulsés d’Amérique, sans exigence de nationalité ou de lien direct avec le pays hôte. Le Washington Post, qui a levé le voile sur cette manœuvre, rapporte que cinq chefs d’État ont été directement sollicités.
Le Soudan du Sud a déjà donné suite. Début juillet, huit migrants en situation irrégulière ont été transférés depuis un centre de détention américain à Djibouti, et accueillis à Juba, dans la plus grande discrétion. Aucune déclaration officielle, aucun programme d’insertion annoncé. Le geste est discret, mais lourd de symbole. Ces personnes n’ont, selon les sources, aucun lien particulier avec le Soudan du Sud. Elles sont simplement les premières à être envoyées dans ce que certains analystes commencent déjà à qualifier de nouvelle “zone de relégation”.
Ce geste s’inscrit dans une stratégie bien connue de Donald Trump, qui fait de la lutte contre l’immigration un marqueur politique central. Après avoir durci les contrôles à la frontière sud et multiplié les expulsions, l’objectif est désormais clair : déporter vite, loin, et si possible sans protestation. L’Afrique apparaît ici comme un espace “pratique”, où les répercussions diplomatiques sont moins visibles et les contreparties plus efficaces. Derrière les discours de coopération, il s’agit d’une politique migratoire externalisée, conçue pour éviter tout remous sur le territoire américain.
Le choix de l’Afrique n’est pas anodin. Il s’appuie sur une perception bien ancrée chez certains cercles de Washington : celle d’un continent “élastique”, capable d’absorber les crises du monde sans bruit. En sollicitant directement des dirigeants, Trump évite les débats, contourne les institutions, et mise sur des relations bilatérales asymétriques où l’aide, la sécurité ou les promesses d’investissements peuvent servir de levier. L’Afrique devient alors, non pas une partenaire sur un pied d’égalité, mais un réceptacle silencieux. Pas une prison au sens formel, mais un lieu suffisamment lointain pour enterrer les traces de ceux que l’Amérique ne veut plus.
Cette pratique soulève des questions lourdes. D’abord sur le plan humain. Que deviennent ces personnes expulsées dans un pays inconnu, sans statut clair, sans communauté, sans accompagnement ? Ensuite, sur le plan diplomatique. En acceptant d’accueillir des migrants sans lien direct avec eux, les États africains concernés prennent le risque d’assumer des charges politiques et sociales imprévisibles. Enfin, sur le plan symbolique : cette politique alimente une vision du monde dangereuse, où certains territoires seraient voués à recevoir les exclus du reste de la planète, comme si l’injustice devait elle aussi être délocalisée.
Ce que Donald Trump propose ressemble moins à une coopération qu’à une délégation de rejet. Une externalisation de l’exclusion. Derrière la diplomatie, c’est une logique brutale qui s’installe : vider son territoire et déposer ailleurs, loin des regards, les corps et les vies devenus indésirables. Et dans ce jeu géopolitique, l’Afrique n’est ni cage ni terre d’asile. Elle est réduite, aux yeux de certains, à un terrain de manœuvre. Un échiquier sur lequel on pousse des pions humains en silence.
Mamadou Cheikh, Correspondant Sénégal

