

Depuis 2024, le Burkina Faso expérimente une réforme inédite dans son système pénitentiaire : le travail agricole comme moyen de réduction de peine. Si certains y voient un retour au travail forcé, d’autres perçoivent cette initiative comme une véritable chance de réinsertion pour les détenus et de réévaluation du système judiciaire. Entre symbolisme et pragmatisme, cette réforme pose une question essentielle : et si la prison ne devait plus seulement punir, mais reconstruire ?
Au Burkina Faso, la prison ne se résume plus à quatre murs et des années à tuer. Depuis 2024, une réforme inédite a fait émerger une autre manière d’exécuter la peine : les détenus peuvent désormais travailler dans les champs pour réduire leur durée d’incarcération. Un mois d’effort pour trois mois de peine en moins. Derrière cette formule, une transformation profonde du rapport à la punition.
Certains y ont vu une régression, un retour au travail forcé, au bagne déguisé. Mais cette réforme, voulue par les autorités, s’inscrit dans une logique africaine de justice restaurative. Elle propose de rendre la peine utile pour le détenu, pour la société, et pour l’État. Le travail devient un outil de réinsertion, un acte de contribution. La terre, un terrain de reconstruction.
Le centre pénitentiaire de Baporo, emblématique de ce changement, fonctionne en plein air. On y cultive des vivres qui alimentent les prisons du pays, et parfois les marchés. Plus qu’un outil de répression, le système pénitentiaire se veut acteur de la production nationale, de la résilience locale.
Mais derrière l’innovation, des questions demeurent : le volontariat est-il réel ou contraint par l’environnement carcéral ? Quelle est la valeur du travail fourni, et quel avenir pour ces détenus une fois sortis des champs ? La réforme est jeune, et son évaluation reste à faire. Elle demande une vigilance constante pour éviter les dérives, pour rester fidèle à l’intention initiale : humaniser la peine.
Au-delà de l’expérimentation pénitentiaire, cette réforme s’inscrit dans une vision plus large portée par Ibrahim Traoré : celle d’un État qui se reconstruit sur ses propres bases, ses propres ressources, ses propres hommes. Réformer la peine, c’est aussi revendiquer une souveraineté judiciaire, culturelle, presque civilisationnelle. Enrôler les détenus dans l’effort productif, c’est les réintégrer dans un récit national, celui d’un pays qui se relève, y compris avec ses exclus.
Cependant, une question essentielle demeure : tous les condamnés, même ceux ayant commis les crimes les plus graves, font-ils vraiment partie du projet ? Actuellement, la réforme semble exclure ceux condamnés pour des crimes majeurs comme les meurtres. En effet, les détenus engagés dans ces travaux agricoles sont sélectionnés, souvent en raison de leur bonne conduite et de leur profil moins dangereux. Les auteurs de crimes graves ne semblent pas concernés, du moins dans cette phase initiale.
Et il faut le souligner : peu de pays africains ont osé toucher à la prison comme symbole. Parce qu’elle incarne l’autorité, mais aussi l’abandon. Parce qu’on préfère souvent ne pas voir ceux qu’on enferme. Le Burkina, en proposant une telle rupture, remet la question carcérale sur la place publique. Il dit que même les condamnés font partie du projet national. C’est politique, c’est symbolique, c’est presque idéologique.
Cela dit aussi quelque chose de plus vaste : dans une époque où les États cherchent à réinventer leurs institutions dans un contexte de crise, où la confiance est à rebâtir, chaque réforme devient une vitrine. Et celle-ci, derrière les bêches et les bottes, est une déclaration. Le message est clair : “Nous avons nos propres réponses. Elles ne sont pas parfaites, mais elles sont à nous.”
Au fond, cette initiative du Burkina ouvre un débat essentiel sur le rôle de la prison. Faut-il punir pour exclure ou punir pour reconstruire ? En cultivant la terre, le Burkina Faso ne cherche-t-il pas aussi à cultiver une nouvelle forme de justice, plus humaine et intégratrice ? Le pari est risqué, mais il pourrait bien devenir une référence pour d’autres nations africaines.
NGAMA
Correpondant, Moscou

