

Ukraine sans soutien américain : un compte à rebours fatal pour Kiev ?
La suspension de l’aide militaire américaine pourrait considérablement affaiblir les défenses ukrainiennes en seulement quatre à six mois, préviennent les experts. Malgré une production d’armements en hausse en Ukraine et un soutien européen affirmé, l’absence de matériel stratégique fourni par Washington, notamment en défense aérienne, risque de peser lourdement dans l’issue du conflit.
Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle en février 2022, les États-Unis se sont imposés comme le principal pourvoyeur d’aide militaire à Kiev. D’après les données de l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, Washington a contribué à hauteur de 64,13 milliards d’euros entre février 2022 et décembre 2024, soit près de la moitié de l’aide militaire internationale accordée à l’Ukraine. À titre de comparaison, l’ensemble des pays européens a fourni 61,6 milliards d’euros sur la même période.
Mais au-delà des chiffres, c’est la nature des livraisons américaines qui s’avère décisive : missiles antichars Javelin, obusiers, munitions de 155 mm, drones et surtout les systèmes de défense aérienne Patriot. Un arsenal crucial, qui a poussé un officiel occidental à déclarer anonymement à la BBC que l’aide américaine représentait le “nec plus ultra” de l’armement destiné à Kiev.
L’annonce de l’administration Trump sur la suspension de cette assistance bouleverse donc les plans stratégiques de l’Ukraine. Pour l’instant, l’ampleur réelle des coupes budgétaires reste incertaine : Washington s’était déjà engagé à fournir jusqu’à 11 milliards de dollars d’armements en 2025. Selon une analyse du Center for Strategic and International Studies (CSIS), une partie devait être puisée dans les stocks du Pentagone, tandis que le reste devait provenir de nouveaux contrats de défense.
Si cette suspension se confirme, l’Ukraine pourrait rapidement être confrontée à une pénurie d’équipements vitaux, exposant encore davantage ses lignes de défense face à une armée russe qui, elle, ne faiblit pas. Face à cette incertitude, l’Europe tente de renforcer son soutien, mais sans les États-Unis, la résistance ukrainienne risque d’entrer dans une phase critique.
Une marge de manœuvre de quelques mois
D’après plusieurs analystes militaires, l’Ukraine pourrait résister un certain temps sans aide américaine mais devrait à moyen terme connaître d’importantes difficultés. Max Boot, historien militaire américain, a estimé dans un billet d’opinion publié pour le Washington Post avant l’annonce de l’administration Trump, qu’une fin de l’aide américaine “entraînerait assurément une perte de vies humaines bien plus importante et pourrait facilement conduire à la défaite ukrainienne”.
Dans le détail, les prévisions oscillent. Pour Fedir Venislavskyi, député et membre de la commission de défense du Parlement ukrainien, Kiev dispose “d’une marge de sécurité d’environ six mois, même sans l’aide américaine”. Il reconnaît toutefois qu’assez rapidement, la situation deviendra “beaucoup plus difficile”.
De son côté, Mark F.Cancian, ancien stratège en armement de la Maison Blanche, juge dans un article pour CSIS que dès quatre mois, les forces ukrainiennes commenceront à faiblir très sensiblement, car elles n’auront tout simplement pas suffisamment de munitions et d’équipements pour remplacer ce qu’elles ont perdu. D’après lui, Kiev se retrouverait alors rapidement forcé à signer une paix négociée très défavorable afin d’éviter une débâcle beaucoup plus large.
Une défense aérienne sous pression
Les pénuries ne toucheront par ailleurs pas tous les secteurs de la même manière. L’Ukraine est globalement bien moins dépendante militairement des États-Unis et de leurs alliés qu’en février 2022. La production locale d’obus, de pièces d’artillerie mais surtout de drones, qui sont devenus capitaux au cours du conflit, s’est très sensiblement renforcée.
Interrogé par ABC News, Malcolm Chalmers, directeur général adjoint du Royal United Services Institute, un groupe d’analyse affilié à l’armée britannique, a expliqué que la part américaine de tout le matériel militaire envoyé sur les lignes de front ukrainiennes était récemment tombé à 20%, contre 25% pour l’Europe, et 55% produit localement. Mais de préciser que ces 20% étaient certainement les plus meurtriers et les plus importants pour l’armée ukrainienne.
Le retrait de l’aide américaine affecte particulièrement la défense aérienne ukrainienne. Les systèmes Patriot fournis par les États-Unis sont parmi les seuls capables d’intercepter des missiles balistiques russes. Or, ces systèmes sont rares et complexes à produire. Chaque système, composé d’un radar, de lanceurs, d’un centre de commandement et de missiles intercepteurs, demande près de deux ans pour être construit et peut coûter jusqu’à un milliard de dollars. Depuis le début de la guerre, Kiev en a reçu sept de la part des Etats-Unis, dont deux ont été probablement détruits, selon une analyse du site spécialisé dans les pertes matériels en Ukraine Oryx.
L’Ukraine tente de développer des alternatives locales et a reçu des systèmes plus anciens d’autres pays, mais ceux-ci sont loin d’être à la hauteur des Patriot américains. Face à l’étendue du pays et aux très importantes campagnes russes de bombardements, il pourrait rapidement devenir beaucoup plus difficile d’assurer la défense des villes. Les pertes humaines et les frappes sur des infrastructures critiques pourraient donc sensiblement augmenter.
Un remplacement par de l’aide européenne trop lent
Malgré les promesses des pays européens, leur capacité à compenser l’aide américaine devrait rester limitée à moyen terme, selon la plupart des experts militaires. Les stocks d’armes et de munitions des pays de l’UE sont sous tension après deux ans de livraisons à l’Ukraine, et la production d’armements, bien qu’en sensible augmentation, ne suffira pas.
Bruxelles a bien annoncé un plan de 800 milliards d’euros pour renforcer la production d’armement, mais ces efforts sont coûteux en temps. Produire un système de défense aérienne avancé comme le Patriot ou un char moderne prend par exemple plusieurs années.
Une situation en évolution constante
L’avenir du soutien américain à l’Ukraine reste pour l’instant encore incertain. Donald Trump a, au cours des dernières semaines, effectué plusieurs volte-face concernant l’Ukraine. Le 5 mars dernier, il a par exemple annoncé stopper le partage de renseignement avec Kiev, suscitant d’importantes craintes de l’état-major ukrainien, avant d’annoncer le 9 mars que cette interdiction serait bientôt levée (voir encadré). Mais si l’arrêt de l’aide militaire américaine se poursuit dans le temps, Kiev devra vraisemblablement faire face à une période critique.
Si l’Europe et l’Ukraine cherchent activement des alternatives, l’absence de l’aide américaine crée en effet un risque stratégique majeur. La guerre en Ukraine, toujours dans l’impasse militaire, pourrait ainsi voir un basculement décisif dans les mois à venir. Enfin, si les pays européens semblent pour l’instant unis pour la défense de l’Ukraine, certains diplomates et autres officiels occidentaux interrogés dans plusieurs journaux américains jugent que si les Etats-Unis devaient réellement retirer leur aide dans la durée, certains pourraient eux aussi diminuer ou arrêter leur aide envers Kiev.

